Quelle est cette flamme au creux de mon ventre qui magiquement me fait sentir vivant(e), vibrant(e) ?
Quelle est cette envie qui, dans un éblouissement, me fait goûter la complétude ?
Quelle est cette flamme au creux de mon ventre qui magiquement me fait sentir vivant(e), vibrant(e) ? Quelle est cette envie qui, dans un éblouissement, me fait goûter la complétude ? Si ma flamme est assez, puissante, en embrasant l’objet de mon désir, quelque chose va s’accomplir. Puis j’obtiens cet objet fascinant, cet amant, ce qui m’a aimanté.
Et quelque temps plus tard, quelque chose s’éteint en moi, je crois voir ta lumière faiblir, brutalement ou insidieusement. L’accomplissement ne s’est pas produit.
Certes il y eu des moments où l’intensité même m’a exalté. Toi et moi ne faisions qu’un. Surtout moi. Je me sentais comme un soleil qui rayonne et fond en même temps. Jusqu’à ce que tu… ou plutôt que je… Ce qui m’avait projeté vers toi est ce qui maintenant te rend haïssable. On ne m’y reprendra plus. Je refuse alors cette amertume qui s’immisce en moi. Je préfère encore le dessèchement. Pourtant la vie attend telle la braise. J’ai compris ! Je vais te démultiplier, ainsi je renouvellerai cet embrasement et j’éviterai le risque des cendres entre nous.
Divine infidélité ? Ou sacré ajournement ?
Chacun de nous porte une histoire unique en son être et son corps dans sa relation au désir de s’embraser ou de fondre. Chacun de nous y répond viscéralement. Parfois avec cœur. Est-il besoin de justification tantrique?
Mais qu’en est-il du désir dans les Tantra traditionnels ? Dans leVijñânabhaïrava tantra? Qu’en est-il concrètement dans les pratiques qui nous invitent à la non-dualité ?
Dans cette vision non-duelle, le désir est un lieu de conscience, de rencontre par excellence puisqu’il est lieu d’incandescence. Le désir est sacré car il est vital.
Dans la vision tantrique duelle, le désir est vulgaire au sens ancien, là où les déités des sens sont parmi les plus féroces. Lieu de fascination, de projection, moyen magique et illusoire d’aller toujours plus loin … dans l’ajournement de la rencontre avec soi.
Oui, ajournement à plonger au cœur de ce qui est juste là et n’est pas toujours exaltant. L’autre ramène toujours à soi-même. Plus l’être s’engage, plus il se rencontre. Dans la vision tantrique non-duelle, il n’y a rien de plus tantrique que la fidélité.
Être plus vivant, plus vibrant est du domaine du bon sens. Devenir dépendant (comme dans le jeunisme actuel) d’un désir exalté, d’une sensorialité réactive et adolescente, est avoué la peur de ce qui semble être la non-vie. Ré-enchanter la vie à la source de nous-mêmes va certes, permettre d’aller toucher vitalement, amoureusement, la non-vie.
Pourtant c’est bien dans cette ‘non-vie’ en soi, que se révèlera l’intimité profonde et solitaire. La véritable union se rend inaccessible tant que le désir duel fait écran à la réalisation de la solitude profonde et intime.
Concrètement, que disent ces pratiques
À quoi invitent-elles ? Quelles opportunités de toucher l’unité nous proposent-elles ?
« Lorsque la pensée se dirige vers un objet, utilise cette énergie. Dépasse l’objet… ».
L’invitation ici est à traverser, dépasser le partenaire, l’objet culte, à sentir dans son ventre l’embrasement, l’incandescence, indépendamment de l’objet. Etre total en s’abreuvant à sa propre source. Se redécouvrir braise par essence, même au cœur de la non-vie, et dépasser la vision limitée d’être telle une allumette qui attendrait son grand jour.
« Regarde un objet puis, lentement, retire ton regard. Ensuite, retire ta pensée et deviens le réceptacle de la plénitude ineffable ».
Découvrir à chaque instant, d’abord dans la banalité, combien il est possible de choisir le mouvement énergétique de zoom arrière et de réceptivité, mouvement très différent du recul qui assèche et qui déshumanise. Passer de la polarité masculine à la polarité féminine.
« Là où tu trouves satisfaction, l’essence de la félicité suprême te sera révélée si tu demeures en ce lieu sans fluctuation mentale ».
L’opportunité est ici est d’apprivoiser le chaos mental en déployant la satisfaction au présent. Nous poser dans le présent de la complétude. Nombres de pratiques invitent à être total, ne serait-ce qu’un instant.
« L’intuition qui émerge de l’intensité de l’adoration passionnée s’écoule dans l’espace, libère et fait accéder au domaine de Shiva / Shakti ».
Tel le Silence au cœur du son, ici ce n’est pas l’intensité qui libère mais bien l’intuition qui en émerge. Depuis l’exaltation découvrir l »inaltation », où l’incandescence intérieure ne dépend plus d’un objet extérieur. Quand l’être est en profonde cohérence, vibrant sa propre note, l’absence ou la perte d’un objet, même crucial, se détend dans la totalité. Le désir duel s’auto libère quand l’être est en amour avec la totalité de la vie.
“Le désir existe en toi comme en toute chose. Réalise qu’il se trouve aussi dans les objets et dans tout ce que l’esprit peut saisir. Alors découvrant l’universalité du désir, pénètre son espace lumineux. »
Jubilation et confrontation d’imaginer, de s’approcher, que tout événement soit tissé depuis notre désir, parfois inconscient. Certes la personnalité ici se rebiffe, mais l’âme sourit. Passage initiatique où le triangle des jeux de pouvoir (victime-tyran-sauveur) est appelé à se dissoudre. Réaliser que tout est tissé d’un désir qui dépasse notre entendement, que nous sommes issus du Désir, au-delà de toute représentation psychologique. Cela peut être l’opportunité de toucher un moment d’absolu. En tout cas, c’est la proposition de ces pratiques non-duelles.
Et qu’en est-il du feu et des cendres ?
« Au début de l’union, sois dans le feu des énergies libérées par la jouissance intime; fonds-toi dans la divine Shakti et continue de brûler sans les cendres à la fin. Ces délices sont en réalité celles du Soi. »
S’enflammer, terrain connu du désir duel. Fondre dans l’énergie demande déjà de parier sur le oui de l’énergie: lâcher les clichés énergétiques, oser sentir la limitation de son cœur, rencontrer illusions et bénédictions, lâcher prise à la vie, sans contrôle ni noyade. Continuer de brûler sans les cendres à la fin : nulle question ici de raviver la flamme du désir duel mais d’accueillir le feu. Le feu est le Feu, qu’il soit flamme, braise ou apparemment éteint.
S’approcher de ceci demande du courage. Au cœur de la solitude, l’union. Au cœur de la séparation, la fusion.
Ce sont quelques pistes de cette ascèse ludique et profonde du Vijñânabhaïrava tantra, yoga de l’action, non postural, de yoga de la vie.
Ce texte* court, essentiel, initiatique, est mon inspirateur et mon ami. J’en ai fait ma grille de lecture dans mes stages et j’y ai retrouvé la toile sur laquelle retisser l’être, le mien, le nôtre. C’est ma terre d’accueil.
Mon assise où je trouve à chaque instant l’opportunité de traverser la complaisance, de choisir ou non, moment par moments, en co-créateur, le UN et laisser émerger le Pressentiment…
Alors, duel ou non duel, le désir ?
* D. Odier : Tantra, Yoga : le tantra de la « connaissance suprême » (A.Michel)
© Diane Bellego
Article pour « Réel » N°69 – Avril 2004