En tant qu’animatrice de stages de tantra et étant donné la vision essentiellement sexuelle du tantra dans notre inconscient collectif, il est logique d’être sollicitée pour les articles, conférences, émissions sur la sexualité. C’est une vision limitée du tantra. Qui a aussi l’avantage d’en faire parler.
Si nous entendons la sexualité comme l’énergie spontanée du désir qui nous pousse à travers le partenaire à nous unir au Tout, et ramène dans son mouvement intrinsèque de fusion tout ce qui a été exclu de notre champ de conscience afin de l’unifier, pour vivre l’unité. La sexualité nous confronte donc à ce que nous évitons soigneusement. Là, je reconnais mon action qui révèle l’aspect en aveugle de l’être pour l’unifier dans l’amour conscient. Je reconnais aussi dans ma vie de femme l’abandon confiant à la Vie à travers mon partenaire, qui est alors le déclencheur mais non la réponse à mon désir.
Si nous entendons derrière le thème de la sexualité, une démarche légèrement accrocheuse avec des pratiques excitantes, des références à des Maîtres orientaux et lointains qui nous rassurent et des recettes exotiques et magiques qui vont nous faire toucher tellement l’extase que la révélation nous sera offerte tel un éveil spontané à deux, là je suis perplexe devant l’espoir naïf du processus magique et surnaturel qui pourrait nous éviter l’alchimie de la rencontre humble et aimante avec nous-même. Je reste dépitée devant la charge de passer pour la rabat-joie.
Le mot sexualité m’énerve aussi car n’y est nommé que le sexe. Non le mot amour, non le mot union, ou le mot âme.
Je ne parle pas de l’élan de la sexualité de l’adolescence où tout l’être est concentré, un dans sa force de vie et se tend vers l’autre car il y a l’amour de la vie dans cet élan vital, même si ce n’est pas toujours l’amour de l’autre. Je ne parle pas non plus de ce temps d’incandescence, de lune de miel, où les deux amants sont tout entiers focalisés à faire l’amour, car leur attirance d’une certaine façon rend manifeste l’amour. Cet élan sexuel où l’être est tout entier mobilisé par la force de vie le relie naturellement à son cœur, car l’être est alors tout entier concerné, donc son cœur et son âme aussi même inconsciemment.
Mais combien dans le mot sexualité, nous pouvons ressentir aussi l’être manipulé par l’idée de la sexualité et non plus l’être animé de son élan de vie qui s’exprime par la sexualité. Comment bien vivre notre sexualité c’est-à-dire bien vivre notre pulsion sexuelle sans que ne soit invité notre cœur ? Comment unir les sexes sans unir le reste de l’être. « Bien vivre notre sexualité « sous-entend bien vivre focalisé dans la dimension sexuelle en refoulant les autres dimensions de nous-même. Cela fait 8000 ans que l’on s’y emploie et que nos mots portent l’abîme que nous portons en nous-mêmes. Comment bien vivre sur une seule polarité, en ignorant ou passant sous silence l’autre polarité.
En tant que collectif, nous avons vécu notre sexualité sans notre cœur et nous avons coupé par nos cultures et nos religions depuis des millénaires, la dimension du sexe de celle du cœur, de l’âme et vu l’état de la Terre et de notre humanité, sans succès.
Nous avons vécu dans un mode essentiellement masculin et avons dirigé et vécu nos vies et notre monde depuis ce mode masculin. Attention entendons par masculin, le masculin présent en chacun de nous, hommes et femmes et non pas les hommes au détriment des femmes.
La vision qui prône le retour du Féminin sur l’erreur du patriarcat en le bornant à la relation hommes/femmes est redoutable et contribue à la séparation intime masculin/féminin, à la revanche d’une polarité sur l’autre et à l’impuissance à guérir la séparation au cœur de chacun d’entre nous. Le masculin des femmes a participé à l’éducation des garçons qui furent les hommes du patriarcat. Le féminin des hommes fut blessé au cours du patriarcat. Et sans doute des femmes portent-elles des mémoires masculines ainsi que des hommes des mémoires féminines. Cette séparation masculin/féminin est à guérir à l’intérieur de nous. Cette guérison générera en nous une élévation de notre taux vibratoire. La nouvelle fréquence contribuera d’elle-même à une nouvelle Terre et des relations différentes entre les hommes et les femmes.
Nous avons oublié ou nous n’avons pas véritablement intégré que chaque être et chaque chose de notre univers est constituée des deux polarités, masculine et féminine. Intellectuellement, nous sommes d’accord. Mais notre personnalité si ce n’est notre ego prend parti et rend plus affligeante la relation.
Comment « bien vivre notre sexualité » nous invite inconsciemment à vivre le sexe sans le cœur et notre féminin assujetti au masculin ou le féminin reprenant les clichés du masculin ou le féminin en concurrence et revanche avec le masculin. Conjugaison à l’infini du masculin sans l’équilibre de la puissance d’origine du féminin…
Alors des hommes et des femmes en quête de l’excitation de leurs sens cherchent de plus en plus douloureusement dans ce mouvement centrifuge, propre au masculin qui par nature s’éloigne du centre, la réponse à leur quête à l’extérieur d’eux-mêmes dans la possession illusoire de l’objet de leur désir qui toujours se recule tel un mirage. Par l’excitation et non l’éveil des sens, le masculin s’éloigne à chaque pas du véritable objet de son désir qui est son propre féminin et le cœur du masculin ne peut connaître l’émerveillement, celui de recevoir l’amour de son féminin.
Alors des hommes et des femmes dans un choix inconscient de vivre le féminin sans le masculin, afin de ne plus contribuer à l’assujettissement du féminin et ses nombreux aspects, s’offrent sans le savoir en pâture à des situations ou à des partenaires qui ne permettent pas à leur cœur et à leur corps de s’abandonner en confiance. En s’identifiant à une seule polarité, ils sollicitent la Vie dans son mouvement de réunification à ramener tout ce qui a été exclu dans leur champ de conscience. Ils contribuent ainsi à perpétuer la trahison de leur propre féminin en lui interdisant par cette trahison même la réceptivité d’amour la plus profonde, centre du mouvement centripète du féminin. Cette réceptivité la plus profonde accessible par la seule confiance donne accès à l’alchimie de l’amour qui restaure à l’amour ce qu’il touche. Cette alchimie d’amour est la réponse que cherche vainement le masculin. Leur ventre ne connaît ni la vigueur, ni l’incandescence.
Alors des hommes et des femmes s’inquiètent de ne plus avoir de désir, alors qu’ils maintiennent inconsciemment leur masculin dans une exigence de performance et/ ou leur féminin dans une obligation d’ouverture. En voulant correspondre à ce qui est reconnu par la société et leur histoire personnelle, ils utilisent le désir, la vie en eux pour contraindre masculin et féminin. Masculin et féminin s’épuisent à vivre l’un sans l’autre.
La sexualité du couple extérieur sans la compréhension ni la réconciliation du couple intérieur est une illusion qui contribue à la remise de pouvoir au partenaire, cet Autre magique et fantasmé à qui nous prêtons de devoir répondre à nos besoins alors que nous-mêmes n’y répondons pas.
Néanmoins, la grâce existe, à nous de la reconnaître depuis l’amour conscient et la conscience de l’amour qui sont les portes intuitives de l’union du masculin et du féminin.
Pour le bénéfice de faire l’amour et de laisser faire l’amour, mais plus largement pour l’accomplissement joyeux et conscient de sa vie, il est essentiel de reconnaître et de libérer les blessures et les défis propres à notre masculin et à notre féminin.
Le masculin de chaque homme comme de chaque femme, porte la culpabilité diffuse d’avoir contribué à la blessure de la Terre et du Féminin. Face à la profondeur de la blessure de son propre féminin, il se sent dans la totale impuissance et il y réagit par la fuite, le déni ou le refoulement, ou l’attaque et la projection, ou encore l’effondrement. Notre masculin a grand besoin de retrouver la dignité de son axe, la fierté de son action et le sens de son voyage. Alors il découvre la puissance magique de sa présence face à son féminin.
Le féminin de chaque homme comme de chaque femme est blessé d’avoir été assujetti comme un objet sans conscience et a grand besoin d’en libérer la peine sans fond en présence du masculin dans la présence. Des profondeurs du cœur du féminin peut jaillir le véritable pardon qui n’est ni l’excuse ni la complaisance mais la véritable fonction alchimique de l’amour. Alors le féminin révèle la puissance de la douceur au sein du corps et la beauté sacrée de l’amour qui a toujours été présent en l’être et attendaient d’être révélées.
L’être, homme ou femme, reconnaît alors la beauté alchimique qui l’habite comme la beauté de son émission consciente et se manifeste dans la puissance de la présence universelle qui est sienne. Dans son autonomie, sa joie et sa conscience, l’être fait l’amour simplement et divinement, ou plutôt laisse tout simplement faire l’Amour et attire à lui par la loi de résonance le ou les êtres qui vibrent de cette même fréquence. Et lorsqu’un être laisse faire avec conscience l’Amour à travers lui et par lui, les mondes se relient et l’étoile qu’il est s’éveille.
© Diane Bellego
Article pour « Recto-Verseau » N°160 – Juin 2005, dossier « Histoire de sexe »