Les pistes pour y parvenir.
Une petite interview sur l’outil, un exercice, un pensée tantra sur ses thèmes

Lâcher prise :

Lâcher prise à quel propos ? Quoi lâcher ?
En tout cas, sûrement ne pas lâcher l’axe intérieur, le centre, encore moins le cœur ouvert.

Lâcher prise plutôt là où la personnalité filtre, interprète la réalité et réagit « sur automatique ». La réaction automatique signale le défi d’amour que la vie sourde à nos injonctions ou nos prières nous renvoie immanquablement malgré les visages différents. Défi sans lequel, croyons-nous, nous serions si heureux et qui justifie de nous séparer de ce qui l’éveille inconsciemment et est la blessure la plus intime d’amour. Nous nous séparons ainsi d’une partie de la réalité au nom de laquelle il nous paraît légitime d’accuser ou d’attaquer, de nous apitoyer ou de fuir. Défi d’amour et de conscience en nous-même qui perpétue un automatisme qui nous fait sortir de notre centre, de notre axe, de notre cœur.

Il est difficile, initiatique même, de lâcher prise précisément là où nous nous croyons impuissant et vulnérable face à la blessure intime d’amour.

Et pourtant ce à quoi l’on résiste persiste. Nous donnons inconsciemment de l’énergie à ce à quoi nous ne pouvons lâcher prise et auquel nous résistons. Et la vie conspire à nous ramener immanquablement le même défi.  » Surtout ne pense à un hippopotame » est le meilleur moyen de se trouver en plein troupeau.

Quelques pistes :

Déjà il nous faut intégrer qu’on ne peut lâcher que ce que l’on a profondément touché. Ainsi notre réflexe corporel est d’abord de tendre à fond un muscle pour le sentir  se détendre finalement. On ne peut lâcher un automatisme qu’en l’ayant véritablement étreint. La vie nous invite donc à reconnaître, à poser notre conscience à la fois sans complaisance mais aussi avec douceur sur les automatismes qui filtrent notre relation à la vie, avant de pouvoir imaginer les lâcher. Le plus évident est dans notre relation à l’autre et la relation amoureuse est un miroir grossissant.

Dans ma pratique avec les couples par exemple, une pratique de communication verbale est bien souvent un révélateur puissant des jeux automatiques de pouvoir. En prendre conscience avec tendresse, humour mais, sans complaisance est l’invitation et l’opportunité à prendre soin des aspects blessés et reconnaître et déployer les aspects niés, qui proviennent du travail non complété de l’enfance. Cela permet à chacun des deux de passer de « à cause de l’autre » à « grâce à toi ». Oui, l’autre n’est pas la cause de la blessure, il l’active simplement. Lorsque chacun prend responsabilité et soin pour lui-même grâce à la relation, c’est un moment unique et bouleversant de lâcher prise. Les deux se sont redressés en eux-mêmes et leurs deux cœurs fondent et s’unissent. Témoignons que tous ne sont pas engagés à le faire, même si tous au départ sont partants.

Dans ma pratique de groupe, les jeux de rôle avec des changements rapides de partenaires qui invitent sur une musique spécifique chacun à exprimer une polarité, révèlent bien des automatismes autour du comportement physique ou social. Certains se sentent obligés de séduire et ne peuvent s’empêcher de s’approcher physiquement, ou de feindre et de détourner le corps, le regard ou de jouer à l’enfant et d’afficher le bon garçon, la gentille fille ou de s’absenter intérieurement ou de se mettre dans un état défensif ou … Ceci quel que soit le (la) partenaire, ce qui est le propos de l’automatisme. Reconnaître cela est déjà fort courageux et confrontant. Il reste à prendre soin de l’aspect qui se met en avant pour protéger l’aspect plus douloureux.

Autoriser le lâcher prise demande au préalable d’accueillir véritablement la blessure intime dans un geste intérieur d’étreinte aimante et consciente et d’avoir accès à un chemin de guérison qui quelle que soit la technique ou l’école passe obligatoirement par la conscience et l’amour.

Là s’installe le véritable chemin initiatique, capable de nous permettre de nous redresser dans notre axe comme de faire fondre notre cœur dans une réalité plus vaste plus aimante, plus spontanée, plus consciente.

Dans la vie quotidienne, affective ou professionnelle, il est déterminant de reconnaître ses automatismes, cela permet de reprendre son pouvoir non plus sur l’autre ou contre l’autre mais le reprendre en soi. Il suffit parfois de se poser au cœur d’une seule pour avoir accès à tout un pan de soi-même et d’en prendre responsabilité et soin. Par exemple, le besoin de toujours en rajouter qui signale en amont la peur de ne pas être aimé simplement comme l’on est ou le besoin de toujours enjoliver la réalité qui signe le refus d’accueillir véritablement cette même réalité. Ou le fait de crisper inconsciemment les épaules face à l’autorité. Ou le besoin irrésistible d’ironiser dans un moment de vulnérabilité… Lâcher prise en ce lieu est un acte héroïque qui demande de prendre soin de l’aspect en amont et de s’ouvrir à une dimension plus large de la réalité que celle du gagnant et du perdant. Lâcher prise en ce lieu recentre, redresse l’axe et ouvre le cœur. C’est héroïque dans notre vision habituelle de la réalité.

Parmi les 112 pratiques du Vijñânabhaïrava tantra, (yoga non postural) lesquelles peuvent nous aider en ce lieu comme chemin de conscience et d’amour ?

« Au moment précis où tu as l’impulsion de faire quelque chose, arrête-toi. Alors n’étant plus dans l’élan qui précède ni dans celui qui suit, la réalisation s’épanouit avec intensité. »

Nous sommes là au cœur même du lâcher prise au cœur de l’automatisme. La réalisation dont il s’agit est bien sûr la réalisation intérieure. Tout est là, la situation qui active l’automatisme, la blessure d’amour qui cherche à se protéger par l’automatisme, la prise de conscience de l’automatisme qui procède d’un aspect plus vaste de soi, le choix de l’arrêter, l’intensité qui vibre de l’enjeu…Nous avons là un concentré de soi-même, d’où la possibilité de la réalisation.

« Regarde un objet puis, lentement, retire ton regard. Ensuite, retire ta pensée et deviens le réceptacle de la plénitude ineffable ».

Dans le même esprit, faire comme un zoom arrière sur l’objet ou la situation ou la relation. Prendre conscience que l’on peut apprendre à retirer sa pensée. C’est là que la véritable liberté se dévoile. Afin d’englober la totalité : soi, l’objet (appelé objet de conscience), la relation à l’objet dans la liberté. Plus nous  pratiquons cela au quotidien, plus cela devient accessible dans les situations confrontantes.

« L’attention fixée sur un seul objet, on pénètre tout objet. Qu’on se relâche alors dans la plénitude spatiale de son propre Soi ».

Cela fait suite à la précédente. Dans notre relation à un objet, nous avons accès à la totalité de notre relation au monde (on pénètre tout objet) et donc à la totalité de nous-même, à notre Soi. De même, en osant contempler un de nos automatismes, on accède à ce qui nous constitue, nos limites comme nous ressources.

« En état de désir extrême, de colère, d’avidité, d’égarement, d’orgueil ou d’envie, pénètre dans ton propre cœur et découvre l’apaisement sous-jacent à ces états. »

Bien des traditions jugent ou éludent les sentiments extrêmes, ce qui refoule ou nie la blessure d’amour qui en est à l’origine. Le tantra invite au contraire d’expérimenter en simultané le cœur.
Quand la blessure et l’amour se vivent ensemble, la paix s’installe avec le lâcher prise.

© Diane Bellego