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Tantra
Qu’y a t’il derrière ce mot ?
A quoi nous invite réellement le Tantra ?
De quelle rencontre s’agit-il ?
Avec l’autre ?
Avec soi ?
Quel Tantra ?
A travers le Vijñânabhaïrava Tantra, quelle est la vision tantrique de la relation à la sensorialité, au désir, à la sexualité.
« SEXUALITE, SENSORIALITE – LA RENCONTRE »
Malgré le choix pathétique de nos propositions socioculturelles, de performance du corps objet, d’infantilisation castratrice ou d’illusoire recette magique, combien il est réconfortant de recevoir dans la confidentialité, l’interrogation profonde des hommes et des femmes sur le couple, sur la relation.
Relation à l’autre ou son absence, ses défis, ses attentes, relation à soi dans la relation à l’autre, relation à Soi.
Par la relation, à cause d’elle, grâce a elle, chacun de nous est amené, invité, poussé, obligé à se rencontrer, par de-là l’abîme de ces propositions, dans l’intimité confrontante de ce qui résonne en soi, des retrouvailles. Chacun dans cette intimité, croyant s’approcher de l’autre va en fait approcher douloureusement de ce qui le sépare de lui-même.
Ceci est si confrontant que chacun aura tôt fait de remettre son pouvoir aux trois rôles habituels : victime, tyran, sauveur, et d’éviter ainsi sa propre responsabilité, son opportunité de répondre. Il (ou elle) lui faudra sans doute aller au bout de sa résistance, avouer l’échec, la désillusion, la répétition des schémas.
Seulement alors chacun de nous pourra reconnaître, toucher simplement que dans la relation :
Son corps est rigide, tendu et combien il lui est absent.
La libre circulation de son énergie vitale donc sexuelle est limitée, falsifiée, stéréotypée.
Certaines dimensions lui sont étrangères : relation sexe – cœur / méditation spontanée ou extatique/dimension animale ou sauvage mais non bestiale, connexion au tout.
L’éveil de son système sensoriel est souvent atrophié.
Ses émotions sont cristallisées dans le passé au lieu d’ouvrir sur le ressenti intuitif.
Son cœur sait par la joie ou la contraction à qui et à quoi il contribue et ouvre son champ d’énergie.
Sa relation à l’autre fait preuve d’automatisme, d’absence à la réalité, de qui il est, de qui est l’autre, et de ce qui se joue, dans ce constat difficile mais combien initiatique.
Qui de nous ne se reconnaît pas là ? ! Or la rencontre à l’autre, démultipliée et concentrée dans la relation amoureuse est le véritable laboratoire du travail de l’âme, incarnée dans le corps et la personnalité, dans sa quête de fusion, de retour à l’unité.
Dans la rencontre, ce qui nous anime est de fuir notre incomplétude en espérant pathétiquement que l’autre va la masquer et même la combler. Et s’il la comble temporairement, nous sommes tels deux cannibales cautionnés par le romantisme. C’est pourtant la vision du prince charmant ou de l’image d’Épinal de l’âme sœur. Or cette âme-sœur est cet être auquel je me sens relié par delà le temps, que mon âme, mon cœur, mon ventre reconnaît, vers lequel mon désir, mon élan s’éveille et qui va inconsciemment conspirer avec la vie à jouer le miroir de ce qui me reste à reconnaître de moi-même et que pour rien au monde je n’ai envie de retrouver : ma propre part d’ombre.
Cette ombre peut-être mon action non alignée et la culpabilité associée, mais combien mon immense vulnérabilité, la blessure intime de mon cœur et comment l’un et l’autre danse ensemble. En fait l’ombre de mon masculin et de mon féminin et leur difficile mariage.
Cette ombre qui me sépare de Qui Je Suis dans ma globalité, lumière et ombre.
Car serais-je incarné dans la densité terrestre, sans l’ombre et la lumière indissociablement reliées, se définissant mutuellement. Alors merci à toi, l’autre, de me refléter pour que je me découvre, que je me reconnaisse, corps, âme, esprit.
L’univers est le reflet de ma conscience. Quand ma conscience se détend, l’univers s’expand .
Accueillir cela cellulairement me fait passer de l’autre côté du miroir, même un court instant. C’est la proposition audacieuse du Tantra, mais aussi des scientifiques qui ne peuvent plus séparer sujet-objet de l’expérience.
Ce rendez-vous ultime qui nous maintient tous en quête vers devient alors la rencontre avec la Réalité.
La Réalité : c’est ce qui est là – rien à retrancher, rien à rejeter, ce qui est ici est aussi ailleurs mais ce qui n’est pas ici n’est nulle part !!!
La fusion est paradoxalement au cœur de la séparation, de ma séparation intérieure et de ce que je crois séparer à l’extérieur, dans cette vision duelle du bien / mal, l’homme / la femme, la matière / la spiritualité…
Là on s’éloigne de cette vision commercialisée du Tantra, de la fameuse sexualité sacrée qui nous amène vers…
Une fusion extérieure fantasmée, un ailleurs de moi.
Toi, sur qui je mettais ma quête, tu me ramènes à moi en me reflétant tout ce qui me reste à reconnaître et c’est seulement en me fusionnant avec Qui Je Suis (ombre et lumière) que je peux réellement me relier à moi.
Et divine surprise, en ayant reconnu ma profonde solitude, je te retrouve toi, continuité de moi-même.
Ce miroir je le joue bien-sûr aussi pour toi et nous tous ensemble. A tout moment se vit le sujet et l’objet, l’actif et le réceptif, prélude à la réciproque entre moi, l’autre, le monde. A tout moment au cœur de mes cellules, il y a l’atome et son électron, polarisés, maintenus ensemble par cette loi d’attraction, cette loi de désir, cette loi d’amour qui maintient l’univers en forme.
« Le désir est en toi comme en toute chose », nous dit le Vijñânabhaïrava Tantra.
Tout contact est un contact amoureux dans une vision globale où la réalisation m’invite à percevoir ce qui est tissé, le tisserant, l’acte de tisser et la tapisserie qui s’expand au fur et à mesure. Le fil est ce fil amoureux, frémissant du Désir, qui maintient la vie en forme, qui invite à revenir, à reconcilier, ce fil d’alliance du mariage intérieur : ombre/lumière. L’invitation est pour ici et maintenant.
Chacun ressent cette initiation planétaire et individuelle, du Retour à la Maison, non plus extérieur, mais bien là à l’intime de ses cellules, dans ce qui s’est cristallisé, densifié, rigidifié, dans mon corps, mes sens, mes émotions, mes pensées, ma connexion à mon âme, à l’esprit. Or depuis au moins 3000 ans, n’est-ce pas ce que nous avons démonisé : le rapport au corps, particulièrement celui des femmes, le plus intensément dans le sang menstruel, le vil monde des sens, l’expression des émotions, la libre connexion spontanée au monde de l’âme, de « Dieu », cette médiumnité naturelle en chacun.
Ceci n’est-il pas le Féminin – non pas la femme/l’homme mais bien le Féminin en chaque homme et chaque femme.
Alors pour retrouver notre divinité sans doute nous faudra t-il resacraliser ce qui a été démonisé – sacré car vital – et revitaliser le Féminin sacré.
L’état de la Terre en est l’exemple poignant et urgent.
Comment revitaliser ce qui a été démonisé ?
Et quelle est la réponse du Tantra ?
Je prendrai référence du traité du yoga tantrique non postural, le Vijñânabhaïrava Tantra, qui propose 112 pratiques, opportunités d’expérimenter un moment, d’unité, de fusion, d’absolu.
Je me limiterai au désir, aux sens, à l’union sexuelle proposée par le thème de cet article ; bien que la globalité de l’expérience humaine soit l’objet des pratiques, de ma recherche et de mon invitation.
Le désir.
« Quand tu prends conscience d’un désir, utilise l’énergie du désir, dépasse l’objet du désir et dans cet espace vide et lumineux tu connaîtras… »
Sois passionné, ne t’arrête pas à l’objet et célèbre la passion.
« Regarde l’objet, retire ton regard, retire ta pensée et devient réceptacle de cet état d’unité ».
Expérimente l’autonomie par rapport à l’objet et devient le désir en lui-même, pour lui-même.
« L’intuition qui émerge de l’intensité de l’adoration passionnée, libère et fait accéder à … »
Non pas l’intensité par elle-même mais bien l’intuition qui émerge de l’intensité.
Le désir est une de nos fonctions vives sans lequel le cœur peut se dessécher, il suffit de voir certaines formes extérieures d’ascétisme. Pourtant tant que la quête est liée à la satisfaction du désir par l’objet désiré elle renforcera les nœuds et l’ego, et tant que l’autre est un objet, le désir ne peut que s’essouffler.
Plus le désir est incandescent, moins il se dirige linéairement vers un objet.
Le désir s’accomplit alors comme frémissement intérieur qui touche la Vie dans sa globalité.
Les sens.
« Fonds-toi dans la joie éprouvée lors de la jouissance qui ravit les sens. Si tu n’es plus que cette joie, tu accèdes au divin. »
« Lorsque tes sens frémissent et que ta pensée atteint l’immobilité, entre dans l’énergie du souffle et, au moment où tu sens un fourmillement, connais la joie suprême. »
« Là où tu trouves satisfaction, l’essence de la félicité suprême te sera révélée si tu demeures en ce lieu sans fluctuation mentale. »
Il en existe bien d’autre, celles-ci nous montrent combien le tantra n’est pas appel à l’hédonisme, à la complaisance mais bien une ascèse ludique, oui, et infiniment profonde.
Car au bout de l’organe sensoriel, l’ego se dissout, se fond et la conscience communique alors avec le tout.
Combien d’émotions oubliées, de mémoires un parfum peut faire jaillir soudainement en nous.
L’union sexuelle : (3 sur 112) celle-ci appartient aux pratiques au même titre que toute autre expérience humaine.
Qu’en est-il réellement du tantra et des pratiques sexuelles.
« Au début de l’union, sois dans le feu des énergies libérées par la jouissance, fonds-toi dans l’énergie et continue de brûler sans connaître les cendres à la fin. Ces délices sont en réalité celles du soi. »
Sans les cendres à la fin, garder cette incandescence du cœur ! En rêvant, en marchant, dormant. Mouvement continuel du feu du Soi qui se consume la personnalité, sans se consumer.
« Lorsque tu pratiques le rituel sexuel, que la pensée réside dans le frémissement des sens comme le vent dans les feuilles, accèdes alors… » (Toujours cette proposition de la pensée sans le mental discursif, pensée frémissante et sensuelle qui ne saisit pas).
« La jouissance de la félicité intime née de l’union peut se reproduire à tout moment par la présence lumineuse de l’esprit qui se remémore intensément cette jouissance. »
Il suffit d’un unique moment/extase, d’unité pour qu’a tout moment le feu brûle de cette mémoire vivante. Il est alors son propre combustible et tu n’es plus à l’extérieur, tu es en moi, tel le bien aimé.
Souviens-toi… Les intégrer réellement suffit alors à la réalisation.
Combien ce qui est proposé dans le Tantra d’origine est différent, déconcertant de ce qui est commercialisé sous le mot Tantra.
D’ailleurs, il n’y aurait-il rien de plus tantrique que la fidélité puisque l’autre me ramènera quel qu’il soit toujours à moi, tel un fidèle reflet.
Qu’en est-il des « initiations sexuelles » de nos « guru thérapeutes chamanes et autres » qui permettraient un passage magique vers…
Cette initiation peut être vécue dans la conscience du rêve, avec un maître décédé, par le contact des yeux, du toucher et en effet parfois par une initiation sexuelle aussi communément appelée : Quand le disciple est établi avec stabilité dans l’extase, qu’à tout moment il peut rentrer en samadhi. Quand le disciple a traversé toute forme d’élan passionné vers le maître et de fantasme de fusion. Quand le disciple a maîtrisé tous les flux, biologiques, émotionnels, et mentaux. Ce disciple serait un maître pour bon nombre d’entre nous.
Cette dernière retrouvaille avec Qui Il Est aurait de toute façon émergée d’elle-même à un moment ou à un autre.
Je ne nie pas qu’il peut y avoir entre deux êtres, des relations sexuelles guérissantes mais tant qu’il y a enseignant / enseigné, il y a séparation et projection, « l’initiation » se fait alors transgressive.
Ce ne sont que deux êtres complets fusionnés en eux-même qui peuvent se rencontrer réellement et vivre l’ouverture du cœur, dans la fulgurance kundalinique. Oui là, il existe transmission et communion de l’univers entier.
Pour conclure le Tantra nous invite à nous retrouver là sans projet, dans l’incandescence de l’élan de vie, indépendamment de l’objet du désir, en s’acceptant ombre et lumière, le cœur ouvert et doux, le regard amoureux sur le monde. Mais tout ceci n’est-il pas trop proche pour être reconnu, trop simple pour être compris, trop profond pour être saisi, trop merveilleux pour être cru ?
© Diane Bellego
Article pour Recto Verseau N°130 du 05/05/2002 – Thème : Tendresse, sexualité, sensualité.