La rencontre et le tantra
Un article qui peut répondre à certaines de vos questions sur la rencontre et le tantra.
La quête. Quelle est cette quête qui me pousse, m’embrase vers l’autre et me laisse épuisé sur les rives de la solitude ou de la frustration ? Cette envie de me rapprocher si près de l’autre, de faire un avec l’autre, car j’imagine trouver ou retrouver le plein, la paix, l’arrivée, le retour, l’union, la maison, le bon, le juste, le vrai, la complétude, l’absolu… ce dont, au plus profond, au plus intime de moi, je garde la nostalgie ou le pressentiment. Ce rêve, je le partage avec l’humanité.
J’ai cru. Oui, bien sûr des instants d’unité, une saveur d’infini, un parfum, un éclair d’absolu. Mais dès que je veux le saisir, cela s’échappe. Dès que je veux le reproduire, cela s’obscurcit. J’ai cru que c’était à cause de l’autre. J’ai essayé de convaincre l’autre, et même de suivre ses désirs au prix d’oublier les miens. J’ai cru que ce n’était pas le bon « autre ». J’ai cru que c’était à cause de moi. J’ai cru que c’était pour les autres et non pour moi. J’ai cru que faire l’amour de manière sacrée serait LE moyen pour nous trouver. Finalement, j’ai arrêté de chercher, vécu pleinement le quotidien et de plus en plus souvent…
Dans l’intimité, dans le sens d’être un, une fois la lune de miel consommée, plus j’essaye de m’approcher, plus l’énergie que j’y mets m’en sépare. Dans l’intimité amoureuse sexuelle, l’énergie et l’attente sont là le plus intenses. Là où je crois le plus m’approcher, ce plus d’énergie met en résonance ce qu’il y a en moi, les croyances, les attentes, les demandes, les jugements, les fantasmes et les rêves, toutes choses qui entourent mon cœur de murs invisibles, qui me séparent de l’amour, me séparent de moi-même. Dans l’intimité, se concentre ce qui me sépare de l’amour tout autant que l’amour. Espérant, voulant, essayant de m’approcher de l’autre, je m’approche de ce qui me sépare de moi-même. En faisant l’amour, j’ai rencontré la solitude profonde, terrible. Pas que cela, cela aussi.
Plus je reconnais ce qui me sépare de moi, plus je peux en prendre soin, le détendre. Dans cette détente, je commence à pressentir mon entièreté. Plus je la reconnais et la déploie, plus je retrouve une forme de complétude. Plus je comprends que l’autre, que la vie a conspiré à me faire rencontrer, ne peut répondre à ce que je crois être mon incomplétude.
Heureusement, l’autre ne peut répondre à mon attente sinon je lui aurais remis et j’ai pu lui remettre le pouvoir de me sentir complet, de détenir une part de moi sublime ou tragique dont j’ai pu alors me sentir en droit de m’approprier ou de rejeter. Lieu de fascination, de projection, d’excitation, d’ailleurs de moi … dans l’ajournement de la rencontre avec moi, avec ce qui est là. Impasse qui nous conduit à être cannibales et mendiants dans la vie amoureuse, dominés et dominants dans la vie collective. Impasse qui nous conduit à nous approprier par la manipulation ou la séduction, la force mentale ou physique, ce dont nous croyons manquer, la fission nucléaire en est un exemple paroxysmique.
Qu’est ce qui me sépare de moi et se concentre dans l’intimité amoureuse ?
1 Le corps souvent rigide, tendu et absent, limité aux seuls organes génitaux.
2 L’éveil du système sensoriel limité, atrophié parfois.
3 La dimension vitale, animale, instinctuelle, non civilisée, chargée de peurs archaïques, indisponible.
4 La circulation de l’énergie vitale, sexuelle, stéréotypée, manque de spontanéité, de créativité.
5 La relation sexe – cœur limitée par les blessures non finies de l’enfance et de l’âme, empêtrée dans les clichés de virilité et de féminité.
6 Les émotions cristallisées dans le passé au lieu d’ouvrir le ressenti intuitif.
7 La relation à l’autre fait preuve d’automatisme, d’absence, de stratégie.
8 Le ressenti intuitif, la sensorialité, la créativité invalidés par le poids du rationnel et des valeurs patriarcales.
9 La connexion au Tout abîmée par les empreintes religieuses ou sectaires.
10 La méditation spontanée ou extatique absente ou ignorée.
Dans mes séminaires de Tantra, ces espaces sont rencontrés, fluidifiés, transformés même. La sexualité est abordée par ce qui la compose, plus qu’en elle-même. Guérir la sexualité est de salubrité publique. Est ce pour autant du tantra ?
Réconcilier l’être avec ses sens, ses désirs, ses émotions, sa passion, sa sexualité, son âme, avec l’entièreté de lui-même est l’aventure la plus audacieuse, la plus profonde, la plus belle.
Le Tantra. Le corps, les sens, le désir, la sexualité sont la beauté frémissante du Tantra et la raison de son travestissement. Le Tantra est une ascèse parfois ludique, parfois confrontante, qui propose une présence vibrante, aimante et consciente à ce qui est là, sans rien retrancher ou ajouter, et invite un pas plus loin à retrouver l’absolu et le goûter. Il n’est pas une forme de justification spirituelle à l’exploration sensuelle ou sexuelle. Il n’est pas un moyen magique d’atteindre l’absolu par la sexualité. Il n’est pas une voie d’accès vers quelque chose d’extérieur qui ne serait pas là, un ailleurs de moi. Chaque moment où la pensée différenciatrice me saisit, je suis dans l’absence. Le Tantra est à chaque instant l’opportunité d’être pleinement présent à la réalité, de passer de l’absence, de l’automatisme à la présence entrecoupée d’absence prélude au rejaillissement.
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Passer de l’automatisme à la présence. Michel dans une pratique à deux : « Comme si ce n’était plus moi qui faisais, mais que cela passait par moi. Mes gestes prolongeaient ce qui poussait en moi. Pour la première fois, je me sentais juste et libre. J’ai même osé improviser au-delà des consignes ! Moi qui ai toujours peur de mal faire, j’étais là vrai et… Vivant. Comme si jamais je n’avais aussi vivant. Et puis d’un coup nous avons ri, mais ri, je ne sais même pas pourquoi, c’était énorme».
Sans rien retrancher ou ajouter, un pas plus loin. Claire dans un toucher méditation. « J’ai décidé de faire confiance, de me détendre. Après un long moment d’intimité avec la musique et d’accord avec mon corps, j’ai senti mon cœur battre au plus profond de mon ventre. En fait je ne sais toujours pas si c’était mon cœur ou celui de mon partenaire. Cela résonnait en moi comme le pouls de la Terre. J’ai pleuré. Je ne sais pas si c’était de joie ou de peine. Je portais toute l’humanité dans mon cœur et toutes les petites filles abîmées. La beauté et la tragédie en même temps et l’amour… Cela m’a réconcilié profondément avec l’homme, rejeté depuis si longtemps. Pacifiée. Et dans un corps de femme. Comme si mon corps avait contenu un instant l’univers. »
Vijñânabhaïrava tantra : « Lorsque tu réalises que tu es en toute chose, l’attachement au corps se dissout, la joie et la félicité se lèvent. »
Le désir de quelqu’un, de quelque chose ? L’invitation est de saisir l’instant dans son premier frémissement, avant que n’intervienne la pensée afin de retrouver l’incandescence, la spontanéité, signe particulier de ceux sur la voie tantrique. Là se fait la différence entre l’hédoniste dont la quête est lié à l’ego, à plus de « moi, je » et celui sur la voie tantrique en quête de la spontanéité profonde. Lorsque l’ego entre en jeu, le mental s’agite dans une stratégie. Chercher à satisfaire le désir par l’objet désiré renforce les nœuds et produit plus d’ego et d’insatisfaction. Tant qu’il y a objet de désir, le désir ne peut que s’essouffler. Plus le désir est incandescent et son propre combustible, sans attente ni projet, moins il se dirige linéairement vers un objet. L’incandescence est ce qui demeure quand le désir de quelque chose est consumé. Le bonheur ne dépend plus de quelque chose ou de quelqu’un. Le désir s’accomplit alors comme frémissement intérieur qui touche la vie dans sa globalité.
La véritable union se rend inaccessible tant que le désir de quelque chose ou de quelqu’un fait écran à la réalisation de la solitude intime. Pourtant dans la vision tantrique non-duelle, il n’y a rien de plus tantrique que la fidélité. Plus l’être s’engage, plus il se rencontre, plus il réalise cette solitude, plus il peut rencontrer véritablement l’autre.
Là est la divine surprise. Une fois traversée la solitude fondamentale et retrouvé en nous-mêmes l’univers, nous nous rendons disponible à notre complétude. L’autre n’est plus alors une projection de moi-même, l’autre se révèle être la continuité de moi-même et l’univers est présent. La séparation se dissout dans ce moment de grâce. L’amour est là présent, l’amour tout court, non plus de quelque chose ou de quelqu’un.
L’initiation individuelle et collective se scelle au cœur de l’intime. L’approche de l’union intérieure touche la racine profonde de l’être où se dévoile la douce émergence de l’amour sans objet qui attend paisiblement que nous cessions d’atteindre l’inatteignable pour savourer, honorer ce qui se rend disponible dans l’instant.
« La grande union est trop proche pour être reconnue, trop profonde pour être saisie, trop simple pour être crue, trop merveilleuse pour être compris par l’intelligence »
« … Cesse de t’accrocher à ceci ou cela et, résidant dans ta vraie nature absolue, jouis paisiblement de la réalité du monde. » Abhinavagupta, grand philosophe tantrique.
© Diane Bellego